Bienvenue chez Etika Mondo ! Vous avez une question ? Contactez-nous ici (de préférence) ou par tél au 04 67 17 45 33
(souvent en extérieur, laissez-nous un message en indiquant svp vos prénom, nom, raison de votre appel et numéro de tél, merci :-) )

La gestion communautaire pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en développement

La gestion communautaire pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en développement

Dans mon premier article présentant mon Etika Tour (https://etikamondo.com/florine-esteve-etikatour/), je vous ai évoqué certains enjeux essentiels concernant l’eau. Je vais désormais vous faire une présentation générale des enjeux liés à l’eau à l’échelle de la planète, et dresser un aperçu des différents systèmes de gestion, et notamment de la gestion communautaire qui m’intéresse particulièrement.

L’eau, une ressource rare inégalement répartie

L’eau est une ressource limitée. En effet, l’eau salée (océans, mers intérieures et certaines nappes souterraines) constitue 97,2% du volume d’eau contenu sur Terre, tandis que l’eau douce n’en représente que 2,8%. Cette eau douce se trouve majoritairement sous forme de glaces et de neiges permanentes : l’eau douce sous forme liquide ne représente que 0,7% du volume total d’eau. Cependant, la plus grande partie de cette eau n’est pas exploitable par l’Homme à des coûts abordables, car elle est située trop profondément par exemple. Ainsi, seulement 0,028% de l’eau est exploitable par l’Homme 1. La ressource en eau est par ailleurs inégalement répartie sur la planète, comme le montre la carte ci-dessous.

Les limites des usages de l’eau

La quantité d’eau disponible à un endroit donné est liée à la répartition naturelle de l’eau ainsi qu’aux activités humaines, et notamment aux prélèvements en eau. L’eau est surexploitée lorsque des prélèvements excessifs entraînent une diminution importante du volume d’eau disponible qui impacte négativement le milieu naturel et/ou les activités humaines. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, le fleuve Colorado, qui s’étend sur 2 330 kilomètres des montagnes Rocheuses jusqu’au Golfe de Californie, n’atteint plus la mer à cause des prélèvements massifs dédiés notamment à l’agriculture, aux activités de loisirs et à l’approvisionnement en eau potable 2. L’eau peut également être présente en quantité très importante et engendrer des inondations, qui sont amplifiées par les activités humaines. Ainsi, dans le cas de fortes précipitations, l’eau qui tombe sur une surface urbanisée imperméable ne s’infiltre pas et ruisselle sans se stocker dans le sol, ce qui ne permet pas la recharge des nappes phréatiques et est susceptible de provoquer des inondations. A l’inverse, si cette eau tombait sur un sol naturel perméable elle s’infiltrerait partiellement voire totalement. En France, le fait que 60 000 hectares par an en moyenne aient disparus sous l’urbanisation entre 2006 et 2014 a donc une incidence sur les inondations 3.


Les activités humaines peuvent aussi engendrer une pollution de l’eau. Cela a par exemple été le cas au Brésil en 2015 lorsque deux barrages qui contenaient des déchets miniers toxiques se sont rompus, entraînant une pollution du fleuve Rio Doce sur 500 kilomètres 4.

L’eau, un bien commun

L’eau peut être qualifiée de bien commun pour deux raisons :

 

  • un usager qui prélève une certaine quantité d’eau en empêche un autre de la prélever simultanément ;
  • l’eau est une ressource vitale dont on ne pourrait priver quiconque.


Cependant, la notion de patrimoine commun est parfois privilégiée par rapport à celle de bien commun, qui suppose une valeur marchande.


L’eau est soumise à la tragédie des biens communs théorisée par Garrett Hardin en 1968. Selon ce biologiste, l’accès libre à un bien commun mène à une utilisation individualiste ne prenant pas en compte les impacts à long terme, ce qui risque d’aboutir à une surexploitation ou une pollution. 
Garrett Hardin en conclut qu’il est nécessaire d’imposer une limite au libre accès. Afin d’encadrer les usages et de favoriser la coordination entre les usagers, diverses voies ont été envisagées : la privatisation, la gestion publique et la gestion communautaire.

Les modèles de gestion

Je vais tout d’abord aborder la privatisation. Elle ne s’avère pas toujours efficace afin de limiter la surexploitation et la pollution de l’eau. On pourrait à première vue penser qu’un acteur étant propriétaire d’un certain volume d’eau n’est susceptible d’exploiter que ce volume, ce qui permettrait de préserver l’eau ne lui appartenant pas. Cependant, tant qu’il est possible d’acheter l’eau, les acteurs sont susceptibles de la surexploiter. De plus, l’eau étant mobile, si quelqu’un pollue l’eau lui appartenant, cette pollution peut se propager ailleurs et impacter d’autres milieux naturels et êtres humains ; et si quelqu’un surexploite l’eau lui appartenant cela risque de la même façon d’avoir un impact négatif sur la quantité d’eau disponible pour les autres acteurs. Voici un exemple d’usage industriel de l’eau entraînant une surexploitation : le Mexique est le premier pays consommateur de Coca Cola au monde, alors que 12 millions de mexicains n’ont pas accès à l’eau potable (sur un total de 119 millions d’habitants). Cependant, la fabrication d’un litre de Coca Cola nécessite au moins deux litres d’eau, c’est pourquoi Coca Cola contribue à la raréfaction des ressources en eau au Mexique 5. Par ailleurs, au-delà de la question de l’efficacité de la privatisation afin de prévenir la surexploitation et la pollution, ce modèle de gestion engendre par définition une dénaturation de la notion de bien commun, et aboutit à une nouvelle tragédie, celle de la dépossession. Je reviendrais si nécessaire sur cette problématique de la privatisation, si j’y suis confrontée durant mon Etika Tour.

 

Dans le cas de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement qui m’intéresse plus particulièrement, la question de la privatisation est différente car elle ne concerne pas la ressource en eau à proprement parler, mais le fait que ce soit un acteur privé qui soit en charge de distribuer l’eau potable puis de traiter les eaux usées. Dans ce cas, la force du secteur privé réside dans son accès aux capitaux lui permettant de facilement mettre en œuvre des infrastructures, ainsi que dans son expertise qui lui est utile pour mener à bien des opérations complexes. Cependant, la gestion privée de l’eau est souvent synonyme d’un prix plus élevé de l’eau que la gestion publique 6 et d’une exclusion des personnes les plus pauvres étant incapables de payer les services d’accès à l’eau ; et la question de l’encadrement par la puissance publique et par les citoyens se pose.

 

La seconde voie est la gestion publique de l’eau. Concernant les usages agricoles et industriels de l’eau, la puissance publique a un pouvoir d’autorisation ainsi que de négociation. Je serais amenée à préciser ce point ultérieurement si je rencontre ce cas de figure lors de mon Etika Tour.

 

Dans le cas de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, les avantages par rapport à la gestion privée sont que le prix de l’eau est généralement plus faible, et que même les plus pauvres bénéficient du droit à l’accès à l’eau, comme nous l’avons vu précédemment. Cependant, contrairement au secteur privé, le secteur public peut éventuellement avoir un problème d’accès aux capitaux.

 

La gestion de l’eau concernant l’eau potable et l’assainissement peut également être partiellement publique et partiellement privée, à des degrés divers. Par exemple, le fait que la puissance publique possède uniquement les infrastructures et ouvre le marché à la concurrence laisse une place importante au secteur privé ; alors que si uniquement une partie limitée de la prestation est menée par un acteur privé, la privatisation est restreinte 7. Voici un exemple pour lequel la place du secteur privé est limitée : Eau de Paris gère la production, la facturation et la distribution d’eau potable à Paris, mais sous-traite certaines missions, notamment en matière de travaux ou de services spécifiques 8.

 

La troisième voie est le modèle communautaire, c’est une méthode traditionnelle de gestion de l’eau : le principe est qu’une communauté se réunisse localement pour discuter de l’administration de l’eau. Ce modèle s’inscrit pleinement dans une logique démocratique mais fait cependant face à des enjeux de professionnalisation et de financement.

 

Afin de prévenir une surexploitation ou une pollution de la ressource, les différents modèles présentés sont plus ou moins adaptés selon le contexte et peuvent éventuellement être complémentaires. En revanche, en dehors de l’objectif d’éviter la surexploitation et la pollution, la gestion communautaire de l’eau présente des avantages par rapport à la privatisation et à la gestion publique : elle s’inscrit dans une logique de démocratie à l’échelle locale permettant d’être au plus près des besoins des individus. A l’inverse, la gestion publique est parfois éloignée des préoccupations des individus, qui ne s’estiment pas nécessairement représentés par les politiques, tandis que la privatisation amène à une tragédie de la dépossession. C’est pourquoi je vais présenter plus amplement le modèle communautaire.

Les principes de la gestion communautaire

Elinor Ostrom, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2009, a étudié près de 250 cas de gestion communautaire des ressources naturelles à travers le monde, et a ainsi défini les conditions de réussite d’une telle gestion. Il convient que la ressource ne soit pas trop dégradée (car elle ne pourrait pas être utilisée), que des indicateurs existent à son sujet, que son périmètre soit défini et que l’on soit en capacité de prédire les futures disponibilités.

 

Elle a également défini des principes de gestion communautaire, dont les principaux sont :

 

  • Les usagers doivent avoir un intérêt personnel à la valorisation de la ressource ;
  • Les usagers doivent avoir conscience des effets réciproques de l’action de chacun ;
  • Les usagers doivent collaborer dans un esprit égalitaire de confiance et de réciprocité ;
  • La communauté doit être autonome, c’est-à-dire définir ses propres droits d’usages sans être bloquée par d’autres
    règles ;
  • La communauté doit être capable de s’auto-organiser afin de dialoguer et prendre des décisions ;
  • La communauté doit avoir le support des régimes plus larges (régions, Etat etc).

 

Elinor Ostrom ne s’est cependant intéressée qu’à des individus ayant un même usage de la ressource (par exemple une communauté d’irrigants), étant enclins à la coopération et se basant naturellement sur un système égalitaire sans dominant ni dominé.

 

Etant donné que j’aimerais œuvrer dans les pays en développement, à une échelle locale en milieu rural, sur la thématique de l’accès à l’eau potable et l’assainissement, les acteurs seront restreints et auront probablement un usage avant tout domestique de la ressource (c’est-à-dire à l’intérieur de la maison, contrairement aux usages agricoles et industriels). Ce contexte semble a priori faciliter le processus de négociation, et la probabilité que les conditions requises par Elinor Ostrom soient réunies est plus élevée qu’à une large échelle.

La gestion communautaire : un écosystème social ?

L’instauration d’une gestion communautaire n’est cependant pas spontanée, et nécessite la présence de porteurs très engagés. Il est par ailleurs possible que des tensions existent, par exemple dans le cas où d’autres usages sont développés (agricoles, industriels etc), ou bien si des tensions sociales sans lien direct avec la question de l’eau interfèrent sur le processus de coopération. A ce jour, je n’ai pas encore identifié les bonnes pratiques permettant de palier à ces difficultés.

 

Par ailleurs, la gestion communautaire de l’eau à l’échelle locale ne peut pas à elle seule permettre une gestion efficace de l’eau. Ainsi, Léa Sébastien indique dans sa thèse concernant la gouvernance de l’eau : « il n’est pas possible de déterminer un bon niveau de gestion de l’eau, ils sont tous nécessaires et interdépendants. De fait, la qualité de l’eau comme l’accès à cette ressource relèvent à la fois d’une gestion éminemment locale et notoirement géopolitique. » 9. Les organisations impliquées dans la gestion communautaire doivent donc s’articuler au sein d’une gouvernance multi-niveaux : au niveau horizontal elles doivent former un réseau avec les autres organisations communautaires, et au niveau vertical elles doivent être reliées aux différentes échelles de la gestion de l’eau (communes, régions, etc).

La gestion communautaire : un écosystème géographique ?

Au niveau vertical, les échelles peuvent être administratives, mais il apparaît également cohérent que l’échelle du bassin versant soit incluse. Il s’agit du territoire au sein duquel l’ensemble des eaux convergent vers un même point sous l’effet de la pente : les sources sont situées en haut des montagnes, puis l’eau forme des ruisseaux qui rejoignent des rivières puis un fleuve, avant de se jeter dans la mer ou l’océan. L’échelle du bassin versant est essentielle car elle est adaptée au périmètre de la ressource en eau et s’inscrit donc dans une logique écologique. C’est une échelle qui permet notamment de prendre en compte les impacts qu’une surexploitation ou qu’une pollution pourraient engendrer.

Schéma d’un bassin versant

Conclusion

L’eau touche des enjeux majeurs qui garantissent la vie des individus et des populations. L’accès à l’eau est bien évidemment essentiel, mais encore faut-il qu’elle soit potable, car une eau polluée est susceptible d’engendrer des problèmes de santé. L’eau est également source de vie pour un écosystème qui fournit l’alimentation et l’énergie nécessaires aux populations. L’eau est cependant soumise à des risques de surexploitation et de pollution qui peuvent compromettre l’accès à une eau potable en quantité suffisante. Face à ce défi, la gestion communautaire, vis-à-vis des autres modèles de gestion, présente l’intérêt de s’inscrire dans une logique de démocratie à l’échelle locale et permet d’être au plus près des besoins des individus.

 

Cet article reflète ma compréhension de la problématique de la gestion communautaire pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en développement.

Vous avez peut-être des connaissances plus poussées que moi à ce sujet. Ainsi, n’hésitez pas à me faire part de votre avis, vos idées ou de ressources bibliographiques en commentaire ! Je vous remercie !

 

1 http://www.cieau.com/les-ressources-en-eau/dans-le-monde/ressources-en-eau-monde

2 http://www.consoglobe.com/expo-photo-colorado-fleuve-cg
http://eaudeparis.fr/index.php?id=273

3 http://www.agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur326.pdf

4 http://www.rfi.fr/ameriques/20151113-coulee-boue-toxique-bresil-fleuve-contamine-500-km

5 https://reporterre.net/Au-Mexique-la-population-manque-d

6 En France, les usagers payeraient jusqu’à 30 % plus cher dans les agglomérations dont la gestion de l’eau est déléguée que dans les régies publiques, d’après une étude menée par UFC-Que Choisir en 2009. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies a quant à elle estimé en 2011 que ce pourcentage était de 15 %. Cependant, les processus de mise en concurrence sont de plus en plus courants et permettent de limiter le coût de la gestion privée. (http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/la-gestion-de-leau-privee-ou-publique-13815/)

7 La privatisation des services publics dans les pays des périphéries – Patrice Allard (pages 12 et 13) (http://www.recherches-internationales.fr/RI81_pdf/RI81_Allard.pdf)

8 http://www.eaudeparis.fr/vos-questions-nos-reponses/categorieFAQ/remunicipalisation-du-service-de-leau/

Humains et non-humains en pourparlers : l’Acteur en 4 Dimensions Proposition théorique et méthodologique transdisciplinaire favorisant l’émancipation de nouvelles formes de gouvernances environnementales – Application au domaine de l’eau sur trois territoires : la Plaine du Forez, les pentes du Kilimandjaro et les Barthes de l’Adour – Léa Sébastien, page 84 (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00780587/file/2006_these_L_Sebastien.pdf)

 

Bibliographie

MOOC Gestion et Politique de l’Eau de l’Université de Genève (https://www.coursera.org/learn/gestion-eau#)

Résumés du colloque « Au-delà des dispositifs institutionnels : Quelles formes alternatives de participation à la démocratie de l’eau ? » qui a eu lieu à Limoges les 17 et 18 novembre 2016 (https://altereau-unilim.sciencesconf.org/data/pages/Book_altereau_unilim_fr.pdf)

 

Annexes

Eau rage, eau des espoirs ! #DATAGUEULE 67 : https://www.youtube.com/watch?v=wH9dMNWjL2s

Des communs et des hommes #DATAGUEULE 42 : https://www.youtube.com/watch?v=qrgtbgjMfu0

Sous l’emprise du Coca – Les dessous de la mondialisation (01/10/2016) – Public Sénat : https://www.youtube.com/watch?v=WxPFdegA6T8

Pas de commentaires

Poster un commentaire