
INTRODUCTION
Depuis quelques années, la ville de Loos-en-Gohelle a gagné la réputation de « ville pilote du développement durable » pour son exemplarité en matière de transition écologique et de démocratie contributive.
Une ville alliant « participation », « vivre-ensemble » et « transition écologique » ? Nos oreilles se sont tendues, à l’affût d’indices pour mieux comprendre ce qui apparaît comme un conte de fées. Comment les habitants d’une ville populaire, entièrement sculptée par son histoire minière, tente de se relever après l’effondrement de l’industrie charbonnière et la fin du système paternaliste, avec l’envie de s’engager dans la construction d’un projet commun pour l’avenir ? C’est ce que nous avons voulu mieux comprendre en allant à Loos-en-Gohelle.
Chapitre 1. L’art pour (re)donner la parole aux habitants et améliorer le vivre-ensemble
Nous vous proposons de commencer l’exploration de la ville par la Fabrique théâtrale Culture Commune. Quand les puits 11 et 19 ferment en 1986, la municipalité décide de racheter la base pour un franc symbolique à la société charbonnière (Les Houillères du Nord-Pas-de-Calais). Depuis, la Base 11/19 est devenue un véritable symbole de la reconversion loosoise. C’est sur cette base que la fabrique théâtrale Culture Commune a vu le jour.
Sur ce lieu, nous avons découvert comment l’art peut se mettre au service des habitants et des acteurs locaux. Pour cela, la première étape consistait à la faire sortir des lieux de création et de représentation institutionnels. Il a fallu développer des « stratégies pour que les gens investissent ce lieu ». Le prix des spectacles varie de 0 à 12 euros et un système de navettes ou de covoiturage a été mis en place pour faciliter le déplacement des habitants. Afin de combattre les barrières culturelles, les arts de la rue et les spectacles participatifs sont largement utilisés. En partenariat avec une quarantaine de communes et d’intercommunalités, Culture Commune organise de nombreux spectacles et festivals sur l’ensemble du bassin minier – spectacles qui se veulent ancrés dans le quotidien des habitants, dans la rue ou sur de petites scènes locales. La programmation comporte souvent des formes de culture anciennes ou populaires, comme le cirque, la kermesse, les feux de camps ou plus récemment des ateliers de cuisine théâtralisés. Selon un des médiateurs culturels de la fabrique théâtrale, ces spectacles de rue permettent par ailleurs de créer de la convivialité dans l’espace public, donc du lien et des souvenirs communs. Il suppose que c’est le « regard tendre » que les habitants portent sur ces pratiques anciennes qui suscite une participation large. Pour lui, « le faire ensemble peut permettre de briser des murs ». Avec la compagnie de théâtre HVDZ, en résidence permanente sur la Base 11/19, l’équipe de Culture Commune a développé un travail de création participative, avec et pour les habitants, en allant à leur rencontre. En 2016, la compagnie a par exemple co-organisé le projet « Ici et là » qui combine des rencontres avec les habitants du bassin minier, un film-spectacle issu de ces rencontres et une randonnée sur les terrils ponctuée de saynètes théâtrales pour valoriser le patrimoine et la mémoire locale.
Les récits de vie et les situations sociales génèrent des créations artistiques, qui influent elles-mêmes sur la perception des habitants de ces situations sociales, voire leur comportement. La médiation culturelle menée par l’association se veut donc éloignée de la « démocratisation de l’art pour l’art » : il s’agit d’utiliser l’art pour améliorer le vivre-ensemble en se plaçant en tant que « passeurs » entre les habitants, entre eux et les acteurs institutionnels, entre la mémoire et la vision de l’avenir.
Pour nous qui découvrions le secteur culturel, il nous a semblé qu’il y avait là, un enjeu profondément démocratique. Comment aller chercher la culture dans le quotidien, là où la vie se fabrique ? La culture rassemble ou clive. On ne lui attribue pas la même signification selon les époques, les individus, les cultures. La fabrique théâtrale de la Base 11/19 mélange des cultures plurielles, des regards, des postures, brouille les pistes d’une définition qui serait figée de l’art et invite les habitants à construire une culture partagée, qui n’est autre que la construction de souvenirs communs, et pourtant si singuliers pour chacun.
Chapitre 2. La mise en récit au service de la démocratie ?
La mise en œuvre du projet politique de transition écologique s’est largement basée sur la mise en récit de l’histoire et des actions menées sur le territoire. Tant pour Culture Commune que la Mairie, la mise en récit est un outil éminemment politique. Elle est considérée par la Municipalité comme une stratégie de conduite du changement.
A partir de notre expérience, de nos interviews et de nos lectures, nous avons identifié cinq fonctions possibles de la mise en récit à Loos-en-Gohelle :
Fonction n°1 – Légitimer le projet politique. Le récit systématiquement développé dans les discours municipaux promeut le développement durable comme solution globale et pragmatique sur un territoire en « crise » portant encore les cicatrices du passé minier. Il permet de légitimer un projet politique en l’inscrivant dans une histoire qui donne envie : un avenir vert et fleurissant par rapport à un terrible passé. Il permet également de légitimer une trajectoire de long-terme, ne portant pas ses fruits de suite, tant auprès des habitants qu’auprès des observateurs extérieurs.
Fonction n°2 – Idéaliser l’histoire pour inspirer. « Parallèlement à cette démonstration, le récit consiste en la formalisation, dans un format accessible au plus grand nombre, d’un cadre intelligible de compréhension et d’appropriation du projet de ville. C’est une pédagogie. Le récit se base sur le réel et rend l’expérience appropriable ». La narration idéalisée de la transformation de la ville a par ailleurs un caractère performatif : elle participe à son auto-réalisation. A titre d’exemple, la visite des chefs d’Etat qui aurait dû avoir lieu pendant la COP21, organisée en raison de la médiatisation de l’histoire de Loos-en-Gohelle, aurait permis à la ville de rayonner à l’international, attirant de nouvelles activités économiques, elles-mêmes participant à la réalisation de l’idéal avancé dans le récit.
Fonction n°3 – Déclencher le processus de résilience. Les événements culturels locaux ont joué un rôle actif dans la création et l’appropriation collective du récit de transition par la population elle-même. Depuis 30 ans, la municipalité et Culture Commune (notamment avec HVDZ) organisent des « spectacles narratifs » participatifs et conviviaux dans le but de valoriser la mémoire du territoire et de redonner confiance et fierté aux habitants. On peut y voir une dimension quasi-thérapeutique.
Fonction n°4 – Renforcer le pouvoir d’agir des habitants. Par le biais des spectacles participatifs, les Loosois deviennent « habitants-acteurs de leur histoire », selon l’expression de Jean-François Caron. Et par le biais de ses communications, la Mairie permet à chacun de comprendre la trajectoire de la ville, de se positionner et de faire des choix en tant que citoyen averti.
Fonction n°5 – Refonder la démocratie. D’une part, la valorisation des récits de vie de gens ordinaires leur permet d’exister sur la place publique. D’autre part, dans un contexte de crise démocratique dans lequel les citoyens estiment ne plus être correctement représentés, la mise en récit du projet politique des élus en améliore sa compréhension, donc la transparence et la lisibilité de l’action publique.
Si la mise en récit comporte de nombreuses vertus, elle n’en reste pas moins un outil, qui doit prouver sa légitimité à travers la manière dont il est mis en œuvre. L’enjeu réside dans la capacité du récit à faire émerger la parole des citoyens afin qu’il ne soit pas hors sol mais fasse écho à une réalité, un futur non pas fantasmé mais possible.
Chapitre 3. La démocratie participative sur un territoire populaire
Entre volontarisme politique et culture paternaliste, l’idée d’une démocratie participative ne coulait pas de source à Loos-en-Gohelle ! Pourtant, c’est le pari qu’a lancé Jean-François Caron, maire de la ville. La participation active des habitants est considérée par la Mairie comme un « gage de durabilité », « au fondement de l’action ». « Pour nous, c’est même une thérapie ». Une manière de tourner le dos aux habitudes culturelles du passé. Pour impliquer les habitants, la Ville utilise à la fois des méthodes classiques de concertation et des méthodes privilégiant l’action concrète et la responsabilisation par le « faire ».
Décréter la démocratie participative ne suffit pas. Encore faut-il que les citoyens aient l’envie et le temps de participer. Tout au long de notre exploration, nous avons recueilli des avis très divers et parfois contradictoires concernant les raisons pouvant expliquer la mobilisation moindre de la population, du moins sur le quartier Ouest. La démocratie se caractérise par un ensemble d’interactions sans cesse changeantes, s’incarnant différemment à différentes échelles, sur différents territoires et différemment suivant les enjeux, les volontés politiques et les aspirations. C’est un exercice concret, une expérimentation permanente.
Au-delà des possibles freins à la participation développés précédemment, il en est un peut-être plus puissant que tous : le sentiment que la partie se joue à autre niveau. Comment ne pas se sentir désemparé face aux logiques économiques de la mondialisation et au phénomène de la métropolisation qui vident les petites villes de leurs jeunes, de leur commerces et de leurs entreprises ? Comment ne pas se sentir impuissant lorsque son bar reste vide toute la journée alors qu’une vingtaine d’années auparavant, il ne désemplissait pas ? Comment ne pas se sentir impuissant lorsque se délite la culture locale qui tissait autrefois des liens très forts entre les habitants, alimentait un puissant sentiment d’appartenance au territoire et donnait l’impression aux mineurs d’être utiles pour le pays tout entier ? La démocratie se joue donc aussi au-delà de la participation à l’échelle locale, car le pouvoir d’agir de la population dépend de sa capacité à maîtriser les forces extérieures s’exerçant sur son territoire, que ce soit dans le domaine politique, économique ou démographique.
Chapitre 4. Et les jeunes dans tout ça ?
C’est vrai que depuis le début, on a assez peu parlé de jeunes. En dehors du lycée, on n’en a pas croisé beaucoup. Où étaient-ils donc ?
« Il n’y a rien pour les jeunes de 16 à 25 ans à Loos-en-Gohelle », nous a confié un agent municipal. « La jeunesse a du mal à se projeter dans cette ville vieillissante ». Ce n’est pas vraiment étonnant… Le cœur du bassin minier présente des taux de chômage supérieurs à 35%, voire 45% pour les 15-24 ans.
Les jeunes ne semblent pas trouver leur place à Loos-en-Gohelle. A quelques exceptions près, comme la construction d’un skate-park qui a mobilisé une quarantaine de jeunes sur un an, ils s’impliquent peu dans les démarches participatives, les projets de quartiers et les associations. Pourtant, il est d’autant plus important de leur donner les clefs pour sauter dans l’inconnu et construire le monde de demain qu’une grande partie d’entre eux a encore les yeux rivés sur l’époque où les mines garantissaient le plein emploi et dans lequel il était facile de se projeter dans l’avenir. C’est ce qui explique, selon le maire, le vote massif des jeunes pour le FN dans la région du bassin minier.
Face à cet enjeu de taille, la municipalité n’a pas encore clairement formalisé de politique jeunesse. Pour l’instant, il existe une série de dispositifs mais aucun cadre d’ensemble leur donnant de la cohérence en lien avec le projet politique de la ville. Les services municipaux affirment qu’un travail est désormais en cours avec l’élu référent, notamment pour mieux identifier les envies et les besoins des jeunes.
Fin
Auteurs : Aurore Bimont & Marie Verrot
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